CfP: Genre et classes populaires au travail. Quelles relations entre les sexes dans le salariat subalterne ?

Call for papers, deadline: 8 September 2017 (in French)

 

Argumentaire

Les recherches féministes en sociologie du travail et de l’emploi ont de longue date mis en lumière l’importance et la persistance de la ségrégation sexuée des emplois, tant en France que dans d’autres pays (Roos, 1985 ; Jacobs, 1995). Celle-ci touche particulièrement le « salariat subalterne » (Siblot et al., 2015) par contraste avec ce qu’on peut observer dans les régions intermédiaires et supérieures de l’espace socioprofessionnel : en France, on compte, et ce de façon stable depuis les années 1980, 80 % de femmes parmi les employés et 80 % d’hommes parmi les ouvriers, et les professions presque entièrement « féminines » ou « masculines » sont très nombreuses au sein de ces groupes.

On sait que cette ségrégation sexuée des emplois favorise les inégalités entre hommes et femmes sur le marché du travail, tant du point de vue des carrières que du temps de travail et du salaire (Angeloff, 2000 ; Blackwell 2001 ; Silvera, 2014). Les contraintes de travail pesant sur les hommes et les femmes sont en outre différenciées, y compris parmi les ouvriers et employés (Gollac, 1989). De même, les mécanismes produisant cette ségrégation sont bien connus. D’un côté les salariés intériorisent des goûts sexués pour tel ou tel emploi au cours de la socialisation familiale et scolaire dans des filières sexuées (Willis, 2011 [1977] ; Kergoat, 2014 ; Skeggs, 2015 [1997] ), de l’autre les gestionnaires de main-d’œuvre mobilisent des stéréotypes de genre au moment du recrutement (Lee Downs, 2002 [1995] ; Pruvost, 2007 ; Vozari, 2014) et valorisent des modèles d’investissement dans le travail et de carrières aveugles aux contraintes familiales (Guillaume et Pochic, 2007). Si ces mécanismes valent pour la France comme pour l’étranger (Jacobs, 1999), ils peuvent cependant prendre des formes différentes selon les contextes nationaux (Crompton et Lefeuvre, 2003).

Par-delà ces travaux sur la division sexuée du travail et l’inégale répartition des professions, des postes mais aussi des tâches à l’intérieur d’une même catégorie professionnelle, des recherches ont posé la question des effets de la mixité au travail sur les relations de travail (Kergoat, 2012 [1978] ; Fortino, 2003). Elles ont montré entre autres que l’avancée relative de la mixité dans les professions les plus qualifiées n’entraîne pas nécessairement plus d’égalité (Boigeol, 1993). L’ensemble de ces recherches interrogent les relations de pouvoir entre les sexes dans les univers professionnels (quand les contremaîtres imposent une discipline spécifique aux ouvrières, mais aussi lorsque des hommes ouvriers résistent à la féminisation de leur encadrement, voir Bourgois, 2013 [1995]) et mettent au jour la vulnérabilité des femmes aux situations de harcèlement sexuel (Acker, 1990). Elles s’intéressent également à la violence des situations où quelques femmes entrent dans des univers très masculinisés (Gallioz, 2006 ; Clair et Tafferant, 2006) ou encore aux carrières accélérées des hommes dans les univers très féminisés (Louey et Schütz, 2014).

Si les processus de ségrégation sexuée des emplois sont désormais bien établis, du côté de l’étude des relations entre les sexes au travail, deux domaines restent peu étudiés et incitent à explorer à nouveaux frais la question du genre dans les mondes ouvriers et employés. D’une part, la ségrégation sexuée des emplois a connu des mutations dans ses formes et ses degrés, et pas seulement au sein des professions les plus qualifiées, du fait de la hausse généralisée à toutes les catégories sociales du travail salarié parmi les femmes (Maruani et Meron, 2012), mais aussi des transformations de la structure des secteurs d’emploi. Celles-ci ont pu favoriser la ségrégation des emplois les moins qualifiés (croissance de certaines catégories fortement féminisées comme les assistantes maternelles, les aides à domicile ou encore les aides-soignantes), mais on observe aussi que la mixité s’est accrue depuis 30 ans dans des métiers du salariat subalterne comme les agents d’entretien, les vendeurs ou encore les ouvriers non qualifiés du textile (Dares, 2013). En mettant la focale sur la croissance de la mixité des professions les plus qualifiées par contraste avec les moins qualifiées, on perd de vue certains changements, certes limités, mais réels, en cours parmi les ouvriers et les employés. Ils échappent notamment souvent à l’analyse statistique qui est fortement tributaire des catégories mobilisées, dont on sait qu’elles sont bien plus fines pour les hommes que pour les femmes, et pour les catégories supérieures que pour les ouvriers et employés (Amossé, 2004). D’autre part, même si les hommes et les femmes occupent des emplois différents, cela ne signifie pas pour autant que les employées et les ouvriers ne se côtoient pas dans les univers de travail, que ce soit dans les hypermarchés, les hôpitaux, les immeubles de bureau, les usines, les entrepôts, les restaurants et dans bien d’autres contextes professionnels.

Dans la lignée de l’article de Donald Roy sur le sexe à l’usine (Roy, 2006 [1974]), et de l’ouvrage d’Erving Goffman (2002 [1977]), ce dossier invite ainsi à explorer les relations entre les sexes au sein du salariat subalterne dans leur diversité, en lien avec la plus ou moins grande mixité des univers de travail comme avec l’organisation du travail et les conditions d’emploi (Cartier et Retière, 2008).

Au-delà de la situation de travail, il s’agira également de se demander quels sont les effets des relations entre les sexes au travail sur le hors-travail et plus généralement sur les milieux populaires. Le dossier fait en effet appel aux contributions reliant l’étude des relations entre les sexes au travail avec une analyse plus large des transformations — et des continuités — au sein des classes populaires caractérisées aujourd’hui par une situation dominée mais aussi par une plus grande perméabilité envers les normes des classes moyennes et supérieures (Schwartz, 1997 ; Avril, 2014) : quels sont les effets des relations entre les sexes au travail — des formes de pouvoir et de subordination, des sociabilités, des mobilités — sur les rapports de genre hors travail et notamment dans la sphère domestique ?

Ce dossier fait appel à des contributions empiriquement fondées (statistiques, sur archives, ethnographiques) portant sur la France ou sur d’autres pays, permettant de contextualiser et de comparer dans l’espace et dans le temps les situations de travail des hommes et des femmes dans le salariat subalterne. Les contributions s’appuyant sur des matériaux originaux sont sollicitées ; néanmoins, les coordinatrices invitent également les chercheurs et chercheuses à soumettre des contributions qui reposeraient sur des matériaux empiriques revisités après avoir été initialement collectés à partir d’autres questionnements. Seront également bien accueillies des contributions plus méthodologiques posant par exemple la question de la circulation de l’enquêteur ou de l’enquêtrice entre les groupes de salariés hommes et femmes ou celle de l’accès à des pratiques intimes et dissimulées.

Quatre angles d’étude plus spécifiques des relations entre les sexes au travail et des effets de ces relations sur les recompositions des classes populaires contemporaines pourront être explorés :

1) Quelles formes prennent les rapports hiérarchiques entre hommes et femmes dans le salariat subalterne ? Il s’agira d’étudier aussi bien les formes classiques du pouvoir sexué dans le monde du travail (qui inclut le harcèlement sexuel et plus généralement la sexualité) que toutes les hiérarchies informelles qui peuvent bouleverser ou reconduire l’ordre des sexes, et les degrés et les formes d’autonomie dans le travail pour les hommes et les femmes.

2) En dépit de la forte ségrégation des postes, il existe des situations de mixité et de co-présence des sexes à l’intérieur d’un même métier qui tendent à s’accroître dans certains secteurs comme le commerce : quelles y sont les formes de division du travail et les diverses formes de relations qui s’y nouent entre femmes et hommes ?

3) Plus généralement, et même dans les univers où se côtoient des métiers fortement sexués, il existe des formes d’interactions entre les sexes peu documentées et notamment entre ouvriers et employées dans certains univers de travail. On pourra se demander quels sont les cadres des contacts et les formes de sociabilité au travail entre femmes et hommes dans les emplois subalternes, que celles-ci soient informelles (pauses, pots), suscitées par une organisation (syndicat, association) ou encadrées par l’entreprise (fêtes, journées à thème). Ces formes de sociabilité sont-elles dans certains cas au fondement de la fabrication d’appartenances communes et de mobilisations collectives au travail ?

4) L’étude des relations entre les sexes au travail pourra également se nourrir d’une approche dynamique des mobilités professionnelles : quelles circulations observe-t-on entre les métiers employés et ouvriers ? Entre univers de travail mixtes et non-mixtes ? Quels sont les mécanismes qui conduisent à passer des uns aux autres ?

Conditions de soumission

Les contributeurs sont invités dans un premier temps à soumettre une intention d’article de 8 000 à 10 000 signes incluant les espaces (trois à quatre pages), présentant clairement comment l’approche est construite et dans quelle interrogation elle s’inscrit, les matériaux utilisés et les méthodes de recueil de ces matériaux.

Ces intentions sont à envoyer par courriel, sous la forme d’un fichier « .doc », exclusivement à la rédaction de la revue (socio.dutravail[at]sciencespo.fr), le 8 septembre 2017 au plus tard.

Les auteurs seront informés fin octobre 2017 de la suite donnée à leurs propositions.

Les propositions seront évaluées anonymement et ne contiendront donc aucune information permettant d’identifier leurs auteurs. Les coordonnées du ou des auteurs doivent être renseignées séparément, dans le formulaire de soumission téléchargeable sur le site internet de la revue : http://www.sociologiedutravail.org/spip.php?article126.

Les auteurs dont les projets auront été retenus devront ensuite envoyer leur article complet (de 75 000 signes maximum) le 10 février 2018 au plus tard.

Les articles feront l’objet d’une évaluation par trois lecteurs du comité de lecture, selon la procédure en vigueur au sein du comité de rédaction et exposée sur le site internet de la revue. Après d’éventuelles demandes de remaniement, les articles finalement sélectionnés seront publiés dans le numéro spécial à paraître au premier semestre 2019.

 

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