CfP: Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle. Penser le changement social avec et après Erik Olin Wright

Call for papers, deadline 15 September 2023 (in French)

L'anticapitalisme s'inscrit dans une histoire longue et prend des formes aussi variées que le capitalisme lui-même. Depuis la crise de 2008, le terme semble connaître un souffle nouveau. Un nombre croissant de mobilisations s’en réclament et dénoncent les méfaits du capitalisme en réactualisant d'anciennes critiques - économiques, politiques, sociales - ou en élaborant de nouvelles - féministes, écologiques, numériques, postcoloniales (Ancelovici, Dufour, Nez,2015; Della Porta, 2015). Historiquement, l’anticapitalisme n’a pas seulement consisté critiquer le capitalisme, mais à penser ses alternatives et à élaborer les stratégies pour y parvenir. Or, l’effervescence actuelle de l'activité critique contraste avec la faiblesse du débat théorique sur cette « question stratégique » (Bensaïd, 2011).En France, ce débat stratégique a été marqué par la traduction récente de deux ouvrages d’Erik Olin Wright : Utopies réelles (Wright, 2017) et Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle(Wright, 2020). Le sociologue marxiste y élabore une théorie de la transformation qui prend escompte les forces et les contradictions du capitalisme ainsi que les dynamiques sociales et stratégiques qui permettent d'envisager son dépassement. Écartant la voie révolutionnaire, il plaide pour une stratégie plurielle visant à éroder plutôt qu’à renverser l’hégémonie capitaliste.

Selon lui, toute stratégie anticapitaliste conséquente doit associer des luttes par le haut et par Lebas. Les premières, mises en œuvre par l’État, visent à domestiquer et démanteler le capitalisme(p. ex. services publics, Sécurité sociale, droit du travail, budgets participatifs). Les secondes, issues des mouvements sociaux, ayant pour objectif de lui résister par la rue et les grèves, et le fuir en expérimentant dans ses failles des utopies réelles non capitalistes permettant d’élargir les imaginaires et pratiques politiques (p. ex. coopératives, « zones à défendre »).

L’objectif de cet appel à communications est de penser les stratégies anticapitalistes et le changement social avec et au-delà d'Erik Olin Wright. Il vise à prolonger les discussions académiques qui ont eu lieu sur son travail outre-Atlantique pour en montrer les apports, les limites et les perspectives. Il réunira des propositions issues des sciences sociales (sociologie, science politique, économie, histoire, géographie, anthropologie, philosophie, etc.) qui mettent ces hypothèses stratégiques à l’épreuve du terrain en se basant sur des enquêtes empiriques originales. Les propositions pourront s’inscrire dans un des quatre ensembles de questions suivantes (sans caractère limitatif).

Axe 1. Par le haut, par le bas, par le côté : quelle(s) stratégie(s) ?

Pour commencer, il s'agit de questionner la thèse stratégique centrale d’E. O. Wright : l'hypothèse révolutionnaire doit être abandonnée au profit d'une alliance renforcée entre les mouvements critiques du capitalisme et l’État. Quels facteurs objectifs justifient, ou au contraire réfutent, la mise à l'écart de l’hypothèse révolutionnaire, et plus largement des actions illégales, violentes ou de désobéissance civile ? Dans quelle mesure ces questions classiques (Piven, Cloward, 1977), sont-elles aujourd’hui débattues dans différents secteurs du mouvement social ? Un des enjeux en particulier est de questionner la possibilité d’expérimenter au sein de l'État ou en ses marges des pratiques politiques alternatives. Quel bilan peut-on par exemple tirer des expériences municipalistes dans une perspective post-capitaliste (Carrel, Cossart et al.2020; Nez, 2022; Bantigny, 2023, Ross, 2023) ? Quelles échelles (locale, nationale, transnationale) et types d’alliances (subventions, contrats, etc.) s’avèrent les plus fructueuses avec les pouvoirs publics ? Comment éviter les formes de récupération ou de dépolitisation des luttes qui s’allient aux institutions ? Quelles transformations récentes de l’État favorisent, ou au contraire limitent, les perspectives d’alliances, et comment ces dernières réactualisent le débat Miliband-Poulantzas sur la nature capitaliste de l’État (Jessop, 2011) ? Il s’agira de questionner tant les relations à l’État, que la façon dont la répression étatique croissante des luttes façonnent les stratégies des mouvements sociaux, entre contournement, désarmement et affrontement larvé.

Axe 2. Quelles forces des utopies réelles ?

Un second ensemble de questions porte sur la place à accorder aux utopies réelles comme ferment de transformation à partir de situations en cours. Quelles stratégies sont déployées pour faire sortir ces utopies de leur marginalité ? Quelles sont les pistes expérimentées par différents mouvements anticapitalistes (économie sociale et solidaire, logiciels libres, coopératives autogérées, municipalisme libertaire, etc.) pour faire « passer à l'échelle » leurs modèles d'organisation ? Les récits alternatifs que ces utopies préfigurent ont-ils actuellement une force matérielle suffisante pour engager des mobilisations sociales (Bourdeau et al., 2021) ? Quelles articulations existent ou sont à penser entre les formes de politiques préfiguratives, les stratégies interstitielles et les mobilisations de masse (Yates, 2015) ?

Axe 3. Quels agents politiques ?

Le troisième axe porte sur les agents historiques susceptibles de favoriser, ou de s'opposer, aux luttes anticapitalistes. Un des points les plus controversés des derniers écrits d’E. O. Wright porte sur son abandon de la catégorie analytique de classe sociale pour penser l’anticapitalisme (Burawoy, 2020). Au niveau théorique, quelle est aujourd’hui la pertinence d’une analyse des mouvements anticapitalistes en termes de classes sociales et de lutte des classes ? En réactualisant la pensée de Gramsci, est-il pertinent de parler de « blocs » (populaire, bourgeois et d'extrême droite) comme l'avancent certains représentants de gauche dans leur analyse de la dernière élection (Amable, Palombarini, 2017) ? D'un point de vue stratégique, le prolétariat incarne-t-il encore le principal agent historique susceptible de renverser le capitalisme (Gorz,1980) ? Comment construire en pratique des alliances entre différentes fractions des classes populaires dont la sociologie a pointé les divisions sociales et raciales objectives et subjectives? Quelles expériences existent déjà permettant de questionner les conditions sociales et politiques permettant de dépasser ces divisions (Brakni, 2020) ? Ces alliances doivent-elles être pensées à la lumière des stratégies de mobilisation à réaliser (Talpin, 2016; Penissat, 2022) ou des enjeux mis en en avant - comme la question du travail (Yon, 2021) ? Quelles alliances peuvent être nouées entre classes moyennes et classes populaires (Alinsky, 1949;) ? Au-delà des enjeux de classe, les propositions pourront s'intéresser à la diffusion du paradigme de l'intersectionnalité et de la façon dont il est approprié et débattu dans les réflexions stratégiques.

Axe 4. Que faire des organisations ?

Le quatrième axe interroge le rôle des différentes organisations - partis, syndicats, associations, mouvements - dans l'élaboration et la conduite des stratégies anticapitalistes. La science politique a pointé la « désinstitutionalisation » du militantisme (Lefebvre, 2019), et plus largement la remise en cause des formes structurées d'organisations politiques comme acteurs pertinents des luttes anticapitalistes, au profit de mobilisations spontanées en ligne, de réseaux informels et d'organisations "gazeuses" (Cervera-Marzal, 2021). Dans un contexte dérépression et de criminalisation accrues des mouvements sociaux, faut-il penser que l'informel constitue une ressource pour les collectifs, puisqu' « on ne dissout par un soulèvement » (X, Yet Kouvelakis, 2023) ? À l'inverse, l'absence de structuration ne risque-t-elle pas d'affaiblir lesluttes anticapitalistes qui nécessitent de mobiliser des ressources organisationnelles importantes sur le temps long, tout en favorisant la domination des plus doté.es dans la définition des stratégies de lutte en reléguant la parole des classes populaires, des femmes et des groupes racisés ? Quels formes et horizons temporels de l’action collective adopter pour lutter efficacement contre le capitalisme entre mobilisations spontanées et organisations pérennes, conflictualité et institutionnalisation, "guerre de mouvement et guerre de position" (Gramsci,2012) ? Il s'agira moins ici de revenir sur les différentes stratégies politiques (axe 1) et stratégies de mobilisation (axe 3) que d'analyser les stratégies organisationnelles, c'est-à-dire la manière dont les mobilisations anticapitalistes questionnent et adoptent les formes organisationnelles qu'elles considèrent comme les plus ajustées à leur lutte.

Calendrier prévisionnel

  • 15 septembre 2023 - Réception des propositions de communications présentant objet, question de recherche, inscription dans la littérature, méthodologie et résultats (max 500mots bibliographie non incluse).

Envoyer à sebastien.shulz@protonmail.com et julien.talpin@univ-lille.fr avec l’objet : « AAC Stratégies Anticapitalistes »

  • Début octobre 2023 - Mention aux auteurs
  • 25-26 janvier 2024 - Colloque à la Maison des Sciences de l'Homme Paris Nord

Conseil scientifique

  • Ludivine Bantigny, historienne
  • Laurent Jeanpierre, CESSP, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
  • Rémi Lefebvre, CERAPS, Université de Lille
  • Héloïse Nez, CITÉRES, Université de Tours
  • Ugo Palheta, CRESPPA, Université de Lille
  • Romane Rozencwajg, CRESPPA, Université Paris 8
  • Isabelle Sommier, CESSP, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
  • Karel Yon, IDHE.S, Université Nanterre

Bibliographie

  • Alinsky, S., 1971, Rules for Radicals: A Pragmatic Primer for Realistic Radicals, New York, Random House.
  • Amable, B. Palombarini, S., 2017, L'illusion du bloc bourgeois. Alliances sociales et avenir du modèle français,Paris, Raisons d'agir.
  • Ancelovici, M., Dufour, P. Nez, H., dir., 2015, Street Politics in the Age of Austerity. From the Indignados toOccupy, Amsterdam, Amsterdam University Press.
  • Arruzza C., Bhattacharya T., Fraser N., Dervaux V., 2019, Féminisme pour les 99 %: un manifeste, Paris, laDécouverte.
  • Bantigny, L., 2023, Que faire ?, Paris, 10/18.
  • Bensaïd D., 2011, La politique comme art stratégique, Paris, Syllepse (Mille marxismes), 139 p.
  • Bourdeau V., Cottin-Marx S., Grisoni A., Blanc N.L., Ouardi S., Segas L., 2021, « Utopies. Troubles dans leprésent », Mouvements, 108, 4, p. 7-11.
  • Brakni, Y., 2019, « « Construire une expérience politique commune. Comment le Comité Adama a rejoint lemouvement des Gilets jaunes », Mouvements, vol. 100, no. 4, p. 34-42.
  • Burawoy M., 2020, « A Tale of Two Marxisms: Remembering Erik Olin Wright (1947–2019) », Politics & Society,48, 4, p. 467-494.
  • Carrel, M., Cossart, P., Gourgues, G., Juven, P-A, Talpin, dir., 2020, « Vive les communes ! Des ronds-points au municipalisme », Mouvements, 101 (1).
  • Cervera-Marzal, M., 2021, Le populisme de gaucheSociologie de la France insoumise, Paris, La Découverte.
  • Della Porta, D., 2015, Social movements in times of austerity: Bringing capitalism back into protest analysis,Londres, John Wiley & Sons.
  • Gorz A., 1980, Adieux au prolétariat: au delà du socialisme, Paris, Galilée (Collection RC), 240 p.
  • Gramsci A., 2012, Guerre de mouvement et guerre de position. Textes choisis et présentés par Razmig Keucheyan,Paris, La Fabrique.
  • Jeanpierre, L., 2021, « Former un engrenage socialiste », Balast, https://www.revue-ballast.fr/laurent-jeanpierre-former-un-engrenage-soc…
  • Jessop B., 2011, « Miliband-Poulantzas Debate », dans Encyclopedia of Power, California, SAGE Publications,Inc., p. 416-417.
  • Lefebvre, R., 2019, « Les Gilets jaunes et les exigences de la représentation politique », La Vie des idées, 10septembre 2019.
  • Mouffe C., Laclau E., 2019, Hégémonie et stratégie socialiste: Vers une radicalisation de la démocratie, Paris,Fayard/Pluriel, 320 p.
  • Nez H., 2020, « Pourquoi l’expérience des villes rebelles espagnoles a-t-elle été si brève ? », Mouvements : desidées et des luttes, 1, 101, p. 98-105.
  • Penissat, E., 2022, “France Insoumise : vers la construction d’un mouvement politique populaire ? »,
  • Contretemps, https://www.contretemps.eu/france-insoumise-construction-mouvement-poli…
  • Piven F.F., Cloward R., 1977, Poor People’s Movements: Why They Succeed, How They Fail, New York, PantheonBooks, 381 p.
  • Ross, K., 2023, La forme commune, Paris, La Fabrique.Talpin, J., 2016, Community Organizing. De l’émeute à l’alliance des classes populaires aux Etats-Unis, Paris,Raisons d’agir.
  • Wright E.O., 2017, Utopies réelles, traduit par Farnea V., Peschanski J.A., Paris, La Découverte.
  • Wright E.O., 2020, Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle, traduit par Jaquet C., Toulouse R., Paris, LaDécouverte, 184 p.
  • X, Y et Kouvelakis, S., 2023, « Les Soulèvements de la Terre : composition et stratégie de l’action de masse », Contretemps, https://www.contretemps.eu/soulevements-terre-entretien-ecologie-bassin…
  • Yates, L., 2015, “Rethinking Prefiguration: Alternatives, Micropolitics and Goals in Social Movements”, SocialMovement Studies, 14 (1), p. 1-21Yon, K., 2020, « Le syndicalisme, la retraite et les grèves », Contretemps,https://www.contretemps.eu/syndicalisme-retraites-greves/
Posted