Paris/France
Quels sont les apports de la pensée féministe à la philosophie ? Comment les grands thèmes de la philosophie ont-ils été investis et réinterprétés par la pensée féministe ? Quelles nouvelles thématiques sont saisies par la théorie féministe ? Ce nouveau séminaire confronte la difficile tension au sein de la philosophie féministe entre remise en question des concepts et des traditions d’une part, renouvellement des objets de pensée et des épistémologies de l’autre.
Présentation
Nous sommes ravies de pouvoir vous annoncer le programme de notre séminaire « Genre et féminisme en philosophie » qui fait suite au séminaire de l’année dernière « Perspectives critiques sur et dans la philosophie » et qui se tient comme l’édition précédente dans le cadre du Collège international de philosophie et au site Pouchet du CNRS par un partenariat avec le groupe GTM du Cresppa.
Quels sont les apports de la pensée féministe à la philosophie ? Comment les grands thèmes de la philosophie ont-ils été investis et réinterprétés par la pensée féministe ? Quelles nouvelles thématiques sont saisies par la théorie féministe ? Prolongeant le séminaire « Perspectives féministes critiques sur et dans la philosophie » qui s’est tenu au Collège International de Philosophie de janvier à juin 2025, ce nouveau séminaire reprend son cadre tout en l’élargissant à de nouvelles perspectives et approches. Il confronte la difficile tension au sein de la philosophie féministe entre remise en question des concepts et des traditions d’une part, renouvellement des objets de pensée et des épistémologies de l’autre. Parce qu’il existe un décalage entre la profusion des travaux réalisés dans ce domaine et leur faible visibilité dans les institutions académiques, nous avons voulu faire de ce séminaire un forum où rendre visibles ces propositions, mais aussi un atelier où travailler ces pensées pour en explorer la portée de rupture et les limites. Les communications s’inscrivent dans le champ de la philosophie féministe et des études de genre au sein du monde francophone contemporain, avec quelques ouvertures au-delà de ce contexte et un souci particulier pour les questions transdisciplinaires et intersectionnelles.
Programme
Jeudi 5 février, 14-16h (heure de Paris), salle 124
Mara Montanaro - Expérimenter par les luttes une écriture féministe de la philosophie
Dans cette intervention je reviendrai sur les enjeux de mon dernier livre Théories féministes voyageuses. Internationalisme et coalitions depuis les luttes latino-américaines qui se veut une tentative de créer une écriture féministe de la philosophie enracinée dans les luttes. Il s’agira de montrer comment la philosophie peut être redéfinie par les théories féministes dans ses modes tant de réflexion que de fabrication de ses concepts, étant amenée par la philosophie féministe à repenser ses méthodes, ses objets conceptuels, et à mettre au jour ses impensés. Je me situe ici dans le cadre d’une philosophie eurocentrique relevant du corpus philosophique traditionnel. Afin d’éviter le double piège de la neutralisation du point de vue et de l’universalisation du savoir, et en suivant la philosophe Rada Ivekovic, je me propose de montrer comment penser le sujet comme figure centrale de toute action et de vie politique, qu’il soit un sujet individuel ou collectif, présuppose une histoire des idées et de la philosophie spécifique, locale, géographiquement circonscrite et située.
Mara Montanaro est philosophe, curatrice et militante féministe internationaliste. Elle est maîtresse de conférences HDR en philosophie de l’art et esthétique à l’Université de Picardie Jules Verne. Elle est notamment l’autrice de Françoise Collin. L’insurrection permanente d’une pensée discontinue (Rennes, PUR, 2016) et de Théories féministes voyageuses. Internationalisme et coalitions depuis les luttes latino-américaines (Montréal/Paris, Éditions de la rue Dorion, Éditions Divergences, 2023). Depuis juillet 2019 elle est directrice de programme au Collège internationale de philosophie.
Jeudi 19 février, 14-16h (heure de Paris), salle 124
Sofia Batko - Penser la rencontre entre psychanalyse et féminisme au tournant des années 1970
Au tournant de la décennie 1970, un mouvement féministe, à la fois intellectuel et politique, d’une ampleur inédite a secoué la France. Celui-ci s’est emparé des courants intellectuels de l’époque, parmi lesquels la psychanalyse, pour penser (et réaliser) l’émancipation des femmes et des minorités sexuelles et de genre. Ce séminaire s’intéresse aux discussions que la psychanalyse et le féminisme ont entretenues dans le contexte français des années 1970. Il vise ainsi à montrer les enjeux de cette rencontre, à plusieurs égards éclairants pour l’un et l’autre de ces champs. Quelles sont les principales critiques que le féminisme des années 1970 en France a adressées à la théorie psychanalytique (réduction du sexuel à son expression « phallique », absence d’une pensée des relations entre femmes) ? Quelles inventions conceptuelles se sont alors produites dans ce contexte d’ébullition intellectuelle et politique pour pouvoir penser l’émancipation dans l’ordre du genre et de la sexualité ? Finalement, quels effets cet investissement à la fois intellectuel et politique de la psychanalyse par des féministes a-t-il produit en retour sur le champ psychanalytique français dominé à l’époque par le lacanisme ?
Sofia Batko (LEGS) est doctorante en études de genre - mention philosophie. Titulaire d’un master de philosophie de l’Université PSL et d’un master de psychanalyse de l’Université Paris Cité, sa thèse porte sur la réinvention de l’amour dans le féminisme français des années 1970, en particulier dans la littérature de Monique Wittig et d’Hélène Cixous, à partir d’une lecture de l’enseignement de Jacques Lacan. Ses recherches se situent à l’intersection de la philosophie et la psychanalyse avec un intérêt particulier pour les questions liées au genre et aux sexualités. Elle est l’autrice de l’article « Quelques pistes pour une relecture féministe de la figure de l’hystérique dans la psychanalyse » publié dans la revue Psychologies, genre et société.
Jeudi 12 mars, 14-16h (heure de Paris), en ligne
Salima Naït-Ahmed - Faut-il repenser l’aliénation féminine à la lumière du concept de réification ? Une tentative de dialogue entre théorie sociale et théorie féministe
La philosophie féministe semble avoir privilégié le concept d’ « objectification sexuelle » pour penser la spécificité de l’aliénation des femmes. Ainsi, selon Catharine MacKinnon, pour les femmes c’est l’objectification qui est l’aliénation. Néologisme forgé dans le contexte de la théorie féministe anglo-saxonne, l’« objectification » renvoie à des traditions théoriques fortement marquées par la pensée beauvoirienne de l’aliénation et par l’interrogation morale kantienne du traitement instrumental d’autrui. Pourtant, le concept concurrent de réification, issu de la tradition sociale marxiste, pourrait tout aussi bien être mis à profit par le féminisme pour penser l’objectification sexuelle tout en la réintégrant à une théorie sociale plus vaste, contribuant ainsi à réduire le schisme qui s’est progressivement creusé entre la philosophie sociale et la philosophie féministe. C’est ce que propose cet exposé à partir d’une tentative de redéfinition féministe de la réification, inspirée par la théorie critique de Theodor W. Adorno. Le propos s’appuiera en partie sur la réflexion menée avec Marie Loslier-Simon et qui a donné lieu à deux notices (« aliénation » et « réification ») dans le Dictionnaire du genre en traduction : https://worldgender.cnrs.fr/categorie_notice/theorie-feministe/
Salima Naït Ahmed est chercheuse en philosophie sociale, spécialiste de théorie féministe et d’histoire des idées. Elle est actuellement collaboratrice scientifique à l’Université de Fribourg (UNIFR), également membre associée de l’unité de recherche « Mondes allemands » de l’Université Paris 8 Vincennes Saint Denis. Ses travaux portent sur l’apport de l’École de Francfort et de la pensée d’Adorno au renouveau du féminisme et de l’antiracisme, ainsi que sur la généalogie de l’antisémitisme et du sexisme modernes dans les discours de l’anthropologie naturaliste des Lumières francophones et germanophones.
Jeudi 26 mars, 14-16h (heure de Paris), salle 255
Rada Iveković - Une approche féministe de l’épistémologie
Une épistémologie féministe à construire pour tout.es passe aussi par des comparaisons théoriques transcontinentales pour ne pas dire transculturelles, et un témoignage politique personnel. Une approche féministe ne peut qu’être bien assise politiquement, portant aussi sur la traduction, et devrait nous orienter dans le choix des logiques à observer et des disciplines à visiter, selon les différents découpages par langues. On ne pourra ni élargir ni ouvrir le contexte en se limitant à la francophonie, ou à un quelconque « nationalisme linguistique ». Ce dernier terme est, d’ailleurs utilisé à la place du simple terme « nationalisme », dans les pays où le concept de nation englobe toutes les langues qui y sont parlées et écrites (Inde). On y étudie les politiques de la traduction ou du rapport entre les langues, par un biais féministe en intersection entre nation et langue/traduction. Par exemple, la Suisse est alors un pays et une nation plurilingue, et non un pays bi-national comme la Belgique, ou plurinational comme a pu l’être la Yougoslavie. La présentation navigue entre philosophie, politique et linguistique/traduction.
Rada Iveković est philosophe et indianiste, ancienne de l’Université de Paris-8 et du Collège international de philosophie. Elle a commencé sa carrière au Département de philosophie de Zagreb (Yougoslavie), pour la continuer en France à partir de 1991. Elle a également exercé et fait de la recherche à de nombreuses université de différents continents, et en particulier d’Asie (Inde, et divers pays du sud-est asiatique). Elle est l’autrice de Politiques de la traduction. Exercices de partage (Paris, TERRA H-N, Collection « Alter ego » 2019 http://www.reseau-terra.eu/article1426.html) et de Migration, New Nationalisms and Populism. An epistemological perspective on the closure of rich countries (Birkbeck Law Press, Routledge, Londres 2022).
Jeudi 9 avril, 14-16h (heure de Paris), salle 221
Ombre Tarragnat - Féminismes posthumanistes et néomatérialistes dans le contexte francophone : circulation partielle, résistances persistantes
En plein essor dans les espaces anglo-saxon, scandinave, indien et latino-américain, les féminismes posthumanistes et néomatérialistes peinent encore à s’enraciner dans l’espace francophone, à l’exception notable du Québec. Après la vague d’intérêt suscitée dans les années 2010 par l’œuvre de Rosi Braidotti – pourtant héritière d’une tradition philosophique française – le champ semble s’être heurté à un plafond de verre. Si le posthumanisme est désormais passé dans le langage commun, sa déclinaison féministe, en opposition au transhumanisme, demeure largement méconnue. Cette communication propose d’interroger les conditions de cette réception-traduction différée, entre circulation partielle et résistances persistantes. On peut y voir l’effet conjugué de la redécouverte de la tradition écoféministe, de la prégnance durable du féminisme matérialiste, de la montée du féminisme antispéciste, ainsi que des limites de l’horizon politique que dessinent les pensées posthumanistes elles-mêmes.
Ombre Tarragnat est doctorant·e en philosophie à l’EHESS. Sa thèse, intitulée « Autisme et animalité. Vers un tournant plus-qu’humain et plus-que-neurologique dans les études de la neurodiversité » s’appuie sur les études animales critiques, le féminisme posthumaniste et l’éthologie philosophique. Ombre est membre de l’équipe de coordination du Posthumanities Hub (Linköping, Suède). Ses travaux ont été publiés dans Minority Reports : Cultural Disability Studies, Sextant – Revue de recherche interdisciplinaire sur le genre et la sexualité, ou encore TRACE \ Journal for Human-Animal Studies. Ombre coordonne actuellement des projets éditoriaux sur la neurodiversité, le genre et le posthumanisme.
Jeudi 7 mai, 14-16h (heure de Paris), salle 124
Marta Segarra Montaner - Perspectives plus-qu’humaines et études de genre
La pensée féministe a été depuis longtemps en rapport avec des perspectives écologiques au-delà de l’humain (dont témoigne la notion d’écoféminisme élaborée par Françoise d’Eaubonne déjà dans les années 1970). Cependant, depuis deux décennies, on peut parler d’un tournant posthumain – appelé aussi, plus récemment, plus-qu’humain – de certains courants dans le féminisme. Des philosophes comme Val Plumwood, Donna J. Haraway, ou Vinciane Despret dans le domaine francophone, ont cultivé tout spécialement le rapport entre l’humain et l’animal, en rapport avec le genre. À partir de la fiction littéraire, Hélène Cixous élargit cette perspective, l’étendant à d’autres formes de vie (le végétal, notamment), jusqu’à mettre en question la limite entre le vivant et le non-vivant, à l’instar du nouveau féminisme matérialiste (Karen Barad, Vicki Kirby). Nous nous demanderons quel est le rapport de ces perspectives avec le genre et les féminismes.
Marta Segarra est directrice de recherche au CNRS, au Centre de recherches sur les Arts et le langage-CRAL (CNRS/EHESS), et a été professeure d’études de genre à l’Université de Barcelone. Ses recherches actuelles portent sur des questions de biopolitique et de posthumanisme. Parmi ses derniers livres : Humanimaux : où placer les frontières de l’humain ? (2024), Comunidades con acento (2021), El món que necessitem / The World We Need (avec Donna Haraway, 2019). Elle est l’éditrice du Séminaire d’Hélène Cixous.
Jeudi 21 mai, 14-16h (heure de Paris), salle 124
Pauline Clochec - L’abstrait et le concret en philosophie féministe.
Lorsqu’une philosophe aborde le féminisme, elle ne créée pas ex nihilo ses propres objets mais trouve déjà-là des questions concrètes constituées par le féminisme en tant que mouvement social. C’est sa participation à ce mouvement qui lui fournit ces objets, au moins comme points de départ, ainsi qu’une théorisation déjà opérée du dehors de la philosophie académique. Or, la concrétude de ces objets paraît trancher avec l’abstraction qui fait – à tort ou à raison – le propre et la réputation particulières de la philosophie. Cette abstraction met en difficulté cette dernière face, d’une part, à la concrétude des questions féministes portée par le mouvement social, et, d’autre part, à d’autres sciences humaines et sociales souvent plus massivement investies dans l’activité de théorisation liée au mouvement, notamment la sociologie. Cette difficulté pose la question de la manière dont le féminisme affecte la philosophie et la fait évoluer, à la fois par son inscription pratique et par l’articulation interdisciplinaire que doit occasionner cette inscription.
Pauline Clochec est maîtresse de conférences en philosophie morale et politique à l’Université de Picardie. Elle est spécialisée en philosophie allemande et en théorie féministe. Elle a notamment codirigé Théoriser en féministe, Matérialismes trans et publié Pour lire L’Essence du christianisme de Feuerbach et Après l’identité.
Jeudi 4 juin, 14-16h (heure de Paris), salle 124
Marie Garrau - De la politique de la différence à la politique de coalitions : penser les fondements et les difficultés de l’alliance à partir d’Iris M. Young
Iris M. Young est connue pour avoir élaboré une conception de la justice sociale visant à répondre aux deux problèmes de la domination et de l’oppression. Cette conception se traduit dans ce qu’elle nomme une politique de la différence. Cette politique, qui suppose notamment la démocratisation de toutes les sphères de la vie sociale et l’instauration de mécanismes de représentation des groupes opprimés dans les institutions décisionnelles, n’est cependant pas autonome : elle repose sur l’existence de coalitions ou d’alliances entre les groupes dominés et opprimés, à la fois au sein des institutions politiques et en dehors des institutions politiques, dans le cadre des mobilisations pour la justice sociale. En revenant les textes de Young de Justice and the Politics of Difference (1990) à Responsibility for Justice (2011), on cherchera à identifier ce qui constitue selon elle les raisons, les figures et les difficultés des pratiques d’alliance, et on mettra en lumière l’intérêt de sa réflexion pour penser les formes présentes et à venir que pourraient prendre l’agir et la politique féministes.
Marie Garrau est maîtresse de conférences en philosophie sociale et politique à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et chercheuse rattachée à l’ISJPS. Ses travaux récents se concentrent sur les injustices épistémiques et sur les conceptions de l’alliance dans les pensées critiques contemporaines. Elle prépare actuellement un livre sur la philosophie de Iris M. Young. Elle a notamment publié Politiques de la vulnérabilité (CNRS Éditions, 2023) et codirigé avec Mickaelle Provost, Expériences vécues du genre et de la race. Pour une phénoménologie critique (Éditions de la Sorbonne, 2021), et avec Magali Bessone et Cécile Lavergne, Trajectoires de l’injustice épistémique (Éditions de la Sorbonne, à paraître en 2026).
Organisation
Cornelia Möser et Camille Froidevaux-Metterie
Informations pratiques
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